Témoignage 1

 

Enfant en Retrait

 

Il ne cherche plus de travail/ il aimerait mais n’y arrive pas

Il reporte, reporte encore,

Reste chez lui, ne veut pas être confronté aux autres,

Sort de moins en moins

Semble tourmenté, désemparé, ne veut pas parler de tout cela.

Surfe toutefois sur le net pour savoir, comprendre….

Essaye de dompter son angoisse…

 

Parent inquiet, angoissé

 

Je questionne, j’argumente, j’encourage, m’énerve, essaye de poser des limites, m’énerve encore, crie

Rien n’y fait

Je me décourage, je culpabilise, qu’est-ce que j’ai fait ou pas fait ?

Qu’est-ce que j’aurais dû… , etc …., etc …

J’ai peur pour lui, pour son avenir, quand je ne serai plus là ….

 

C’est pas une Vie !

 

Et Pourtant si …… pas celle que je pensais moi Parent, pas celle que je lui pensais possible vu ses capacités, ses qualités

La Sienne dans notre famille, dans notre région, dans ce pays, dans ce contexte, dans cette société avec les enjeux de notre époque !

                                     

Je suis ….. Il est….. Autre,

Si singulier, si "pas dans la norme", si pas comme il faudrait, si apparemment fragile

Il souffre

Et je souffre de ne pouvoir enlever sa souffrance

Impuissance, détresse, que faire, que dire ?

Mais qui souffre ? Lui

       

Alors ne pas en rajouter, ne pas lui faire porter le poids de mon inquiétude, de ma colère, de ma déception, de mon découragement.

Couper ce cordon toxique

Sortir de ce cercle infernal.

Comment ?

 

Continuer mon chemin pour lui laisser trouver le sien.

 

Chercher un lieu pour en parler, mettre des mots pour alléger l’esprit et le cœur, trouver ce lieu d’écoute qui aide à voir et considérer la situation

sous un autre angle.

S’enrichir des échanges et partager des expériences avec d’autres parents.

 

Apprendre à patienter jusqu’à ce qu’il puisse sortir et trouver sa propre voix/

sa voie dans cette société où rien n’est gagné d’avance.

 

Le calme revient, je commence à comprendre, percevoir la complexité, et me rendre compte que l’important est de laisser parler

mon cœur, de lui faire sentir mon amour indéfectible, maladroitement souvent, mais sûrement.

Rester un parent debout, un interlocuteur. Lâcher prise sans abandonner la partie !

 

CC

 

Témoignage 2

 

La première image qui me vient est celle d’une silhouette ; à peine un corps, presque pas de visage.

La silhouette est cachée sous des vêtements amples, informes. Le capuchon cache le visage, les grands yeux sombres, les traits fins de mon fils.

Son si beau visage.

Je le regarde, campée sur le pas de la porte de sa chambre. Me voit-il seulement ? Il est assis devant son écran, des images tressautent, tressaillent devant lui. Un monde qui m’est inconnu mais qu’il semble maîtriser à la perfection.

Il joue. Il est ailleurs. Il parle, parfois, en anglais, avec des inconnus qui jouent avec lui, sans le connaître, au bout du monde. Des jeux en réseau.

B, - appelons le B, comme Baptiste, Benjamin ou Bernard - ne sort plus. Ne quitte sa chambre que pour avaler un peu de nourriture, vite, sans parler, sans rien me dire.

Depuis combien de temps ? Je ne sais plus, le temps semble s’être arrêté.

Longtemps, trop longtemps.

L’angoisse monte.

Autour de moi, les solutions pleuvent, les conseils abondent, prends-lui son ordinateur, débranche internet, coupe-le de son addiction.

Le mot est jeté, qui fait peur.

Mon fils serait-il addict à son écran ? Que fuit-il ? Pourquoi ne veut-il plus participer au monde ?

Qu’ai-je fait, pas fait, mal fait ?

Que lui ai-je fait ?

Je suis coupable, forcément responsable, moi la mère.

C’est aussi ce que l’on me renvoie : il faut que tu agisses, que tu réagisses, tu es trop bonne ! Trop conne ! Il en profite, de ta faiblesse. Tu dois être ferme, il doit t’obéir.

Je ne suis pas ferme, je ne demande rien, exige encore moins. J’oscille entre les pleurs, les cris parfois. Je hurle.

Il ne répond pas, ou à peine.

Il s’enferme, s’enfonce, et moi avec.

Et puis, je tape « addiction » sur mon ordinateur. Le nom d’une association apparaît. Il y a un formulaire. J’écris, on me répond.

On me donne un rendez-vous.

Je vais parler, enfin, à quelqu’un.

Quelqu’un qui ne jugera pas ; devant qui je ne serai pas coupable. Quelqu’un qui essaiera de comprendre.

Nous essaierons de comprendre, ensemble.

Et puis, un matin, autre image : B est assis sur le bord de son lit, un médecin de l’association l’attend, il a rendez-vous.

Il ne veut pas, il ne peut pas, il transpire, il ne bougera pas. Il est gris, a mal au ventre, envie de vomir. Il ira plus tard, demain, ou après-demain, mais pas aujourd’hui, il ne peut pas.

Je lui tends la main, il la regarde, puis l’agrippe, se lève, me suit.

Il est dehors.

Sa main dans ma main. J’ai l’impression de lui donner la vie une seconde fois.

J’ai appris cela : on n’a jamais fini d’élever son enfant, ou plus exactement, on n’a jamais fini de s’élever à travers lui.

Donner la vie dure toute une vie.

B m’a beaucoup appris, et ce n’est pas fini.  

Il y aura des rechutes, des temps d’arrêt, des crises. Rien n’est jamais acquis à l’homme, disait le poète Aragon.

Aujourd’hui, B observe le monde, il veut être dedans. Il s’est redressé, a enlevé sa capuche, il sort tête nue. Il a trouvé un chemin dans ce monde dont il avait si peur.

Malgré tout.

Malgré l’imperfection de ce monde, malgré le mal et la souffrance, malgré la peur.

G.S.